2020-11-06

Comment peux-t-on faire tout juste la première fois et tout faux la deuxième? En mars, face à une pandémie qui gagnait toute l’Europe, face à des images de détresse de l’Italie et de l’Espagne, face à l’appel des hôpitaux qui se remplissaient aussi en Suisse, le Conseil Fédéral a agi vite, fort et avec détermination. Il fallait couper court la propagation du virus en première priorité. En quelques jours, il a joint un dispositif de protection fort à un dispositif de solidarité. Il a compris qu’il fallait donner une perspective économique à celles et ceux qui d’un jour à l’autre, ont dû arrêter de travailler. Il a utilisé tous les moyens qui lui étaient à disposition: la loi sur les épidémies lui donnaient les compétences, la loi sur le chômage l’instrument efficace des RHT et la bonne situation financière de la Confédération les moyens. Rappelons que la banque nationale dispose pour elle seule des réserves d’un demi billion de francs.

Certes, en allant vite, des erreurs ont été faites. Les mesures de protection n’étaient pas subtiles et pas toujours efficaces. Les mesures de solidarité comptaient des zones d’ombres, les oubliés de la logique d’administration. Certes, le Conseil Fédéral agissait plus vite que le parlement, tétanisé tout en demandent d’avoir son mot à dire. Mais il a écouté, consulté et corrigé. Surtout, son action a porté les fruits. En quelques semaines, il a endigué la pandémie et a amené la propagation du virus à un niveau faible. C’est le premier chapitre qu’on peut intituler « wir können Corona ».

Mais le virus n’est pas parti. S’il a gagné le continent américain où il a pu agir librement face à une absence de volonté politique de protéger la population, il n’a jamais quitté la Suisse. Il était contenu par des mesures de distanciation et par le beau temps qui amenait les gens de passer le temps dehors. Il était prévisible que la suppression des mesures allait remonter la reproduction, déjà en juillet. Il était prévisible que le froid automnal allait accélérer l’évolution si on ne prenait pas des mesures. Les conseils scientifiques n’arrêtaient pas de le répéter, donc les personnes en charge ne peuvent pas prétendre qu’ils n’étaient pas au courant. Les responsables ne peuvent pas prétendre qu’ils sont surpris.

Sauf que, entre-temps, plus personne est en charge. Comment est-on arrivé là? Si la gestion de la première crise était efficace, elle était aussi radicale et peu subtile. Les fédéralistes critiquaient l’universalité des mesures qui était nécessaire pour communiquer vite, mais qui n’était pas toujours opportune face à la situation locale. Les comptables et les idéologues libérales étaient effrayés par les coûts, comme s’il fallait les comparer ces coûts avec ceux d’une situation de non-pandémie.

On est venu donc avec deux fausses bonnes idées: la première étaient de dire qu’il fallait laisser les cantons décider eux-mêmes car ils connaissent mieux la situation. Face à un virus qui ignore les frontières cantonales, c’était prétendre que la Suisse de la Tagsatzung fonctionnerait mieux que la Confédération moderne. En prenant cette décision, la Suisse s’est privée d’une instance qui peut agir aussi vite et aussi déterminée que la situation l’exige, une instance qu’on appelle gouvernement.

La deuxième fausse bonne idée était de construire une contradiction idéologique entre santé et économie, contre toute évidence. Même la première vague en printemps la montré: si la situation sanitaire se dégrade, si la population commence à avoir peur, elle arrête de sortir et de consommer, et l’activité économique écroule toute seule. Seules des mesures actives permettent de contrôler la situation. A part quelque feuilletonistes, la science économique est unanime dans ce constat. Il suffirait de l’écouter. Mais comme dans la crise climatique - et ce sera la seule fois que je tirerai une parallèle entre les deux crises - la politique n‘entend pas la science sous le bruit des lobbyistes.

Donc si on est là, maintenant, face à une deuxième vague qui est plus grave, plus douloureuse et plus mortelle, ce n’est pas une surprise, mais la conséquence d‘une renonciation à une politique, une gouvernance. Le Conseil Fédéral, c‘est pas nous tous. Nous sommes sans Conseil Fédéral.

Cela va être difficile de regagner la tête haute. Nous en avons tous marre de ce virus. Les conférences hebdomadaires sur la situation semblent de plus en plus vides et on perd même la confiance que tel mesure ou une autre, si enfin elle est prise avec des semaines de retard, pourra encore avoir un effet positif. Too little, too late. Pleines de branches sont fragilisées, sans perspective économique. En printemps, on avait dit qu‘on abandonnera personne. Aujourd’hui le gouvernement nous prépare à des faillites, dû chômage et à la précarité pour certains.

On est si seul quand bien même on aurait tout les moyens politiques et toutes les réserves économiques pour faire face à cette crise ensemble, dans un esprit de solidarité et de cohésion.